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Protégez vos filles en éduquant vos fils !

par Syonou

21 févr. 2020

« Si un garçon essaie de te parler, dis-lui que tu es notre petite sœur », c’est de cette façon que mes frères me protégeaient durant ma jeunesse. Là où j’ai grandi, être la sœur, la nièce, la cousine, la fille d’un gars du quartier signifiait quelque chose. Cela signifiait que vous apparteniez à quelqu’un, “l’appartenance à” avait du sens, c’était un peu comme appartenir à un clan (ndlr).

J’étais trop jeune pour comprendre concrètement les préoccupations et les craintes de mes frères mais assez grande pour remarquer la manière dont ils se comportaient envers les femmes. Et si c’était de cela dont ils voulaient me protéger, alors je comprenais leurs craintes. Mes parents étaient au courant de leurs agissements. Et bien qu’’ils n’encourageaient pas mes frères dans ce sens, ils ne les condamnaient pas non plus. Leurs filles, en revanche, devaient être irréprochables, vertueuses et pures, elles devaient se préservaient “physiquement” mais également sur le plan moral… pour leurs futurs maris.

Plus je grandissais, plus j’identifiais ce double standard dans la façon qu’avaient mes parents de nous élever. Ma mère justifiait cela par le fait que les garçons pouvaient physiquement se défendre, ce qui les rendait à priori moins vulnérables. Les filles étaient, quant à elles, synonymes de préoccupations dès leur venue au monde. Elles devaient être bien élevées et par ailleurs, faire face à de nombreux défis. Les filles pouvaient “finir enceintes” “finir prostituées”, “finir violées”, “finir kidnappées”, etc. Il y avait tellement de voies dangereuses concernant la manière dont une jeune fille pouvait “finir”, des voies qui ironiquement menaient toutes aux hommes.

En tant que parents, il était donc vital de rester vigilants et c’est ce que mes parents avaient bien l’intention de faire. Cependant, il ne leur est jamais venu à l’esprit que les craintes qu’ils avaient concernant les fils des autres, d’autres parents pouvaient avoir les mêmes concernant leurs propres fils. Le simple fait que mes frères aimaient leur mère et protégeaient leurs sœurs leur suffisait. ils n’ont jamais considéré le fait que leurs inquiétudes ne devaient pas se limiter aux filles et aux femmes de la famille. Ils n’ont pas non plus envisagé que nos mâles ne pourraient pas nous protéger éternellement et qu’à un moment donné, nous serions livrées à nous-mêmes et qu’il nous faudrait affronter la vie.

L’été de mes 12 ans, mes frères ont quitté la maison pour rejoindre l’armée. Cela a totalement changé la façon dont mes sœurs et moi circulions dans notre quartier. On grandissait toutes, notre anatomie changeait, et nos frères n’étaient plus là pour empêcher les autres de le remarquer. Ce même été, j’ai été victime d’une agression sexuelle pour la première fois lorsque mon voisin, Arthur, m’a touchée de façon inappropriée. Bien que j’ai tenté de la refouler en faisant comme si tout allait bien, cette expérience a plongé mon enfance dans une spirale sans fin. J’ai cessé de m’alimenter, j’ai commencé à ne plus sortir de ma chambre (chose que les parents noirs détestent pour je ne sais quelle raison) et j’ai trouvé mille et unes façons d’esquiver le jeune homme, ce qui signifiait également esquiver l’école où nous allions (ce qui ne me dérangeait pas plus que ça).

Environ quatre jours après avoir eu “des crampes menstruelles” semblables à une douleur lancinante, l’infirmière de l’école m’a confrontée  au sujet du mensonge. Elle savait que je n’avais même pas commencé mon cycle menstruel et donc qu’il n’était pas possible que je ressente des crampes, encore moins durant des jours. C’est trop gros ! J’allais devoir lui dire la vérité et je l’ai fait.

C’est sans mon autirisation et sans me prévenir que l’infirmière a informé ma mère de la situation. Lorsque je suis rentrée à la maison, j’ai été accueillie par une rafale de coups. Comment avais-je pu permettre qu’une chose pareille m’arrive ? L’avais-je souhaité ? Avais-je voulu que cela arrive ? J’avais certainement tout fait pour attirer l’attention et comme toutes les filles qui aiment se faire remarquer, j’en payais les conséquences. Je ne comprenais pas comment le fait que j’avais été violée pouvait être de ma faute, mais il me paraissait douloureusement clair que ma responsabilité ne s’arrêtait pas uniquement au fait de demeurer pure, vertueuse, pudique (toutes ces choses que mes parents m’avaient transmises), c’était également de mon devoir de me protéger des jeunes hommes sans éducation comme Arthur.

Il y a une différence entre être élevé par des adultes ou simplement grandir sous leur autorité. Lorsque vous élevez quelque chose ou quelqu’un, vous le déplacez vers une position supérieure, littéralement, en l’élévant d’un endroit vers l’autre. Avec la parentalité, l’objectif ne devrait pas être différent. Notre rôle, durant 18 ans voire plus, consiste en réalité à élever nos enfants d’un point à l’autre, d’un stade de la vie à l’autre, en les guidant, en les accompagnant à travers les différentes étapes de l’enfance et de l’adolescence, de manière bienveillante et constructive.

Quand j’étais un enfant en bas âge, je faisais des crises de colère quand je n’obtenais pas ce que je voulais. Je pleurais et me mettais en colère pour un rien, comme en témoigne le froncement de sourcils dans la plupart de mes photos d’enfance. J’aimais m’approprier des choses qui n’étaient pas les miennes, j’étais impulsive, je touchais et cassais tout. Mais parce que mes parents ont jugé nécessaire qu’une jeune fille soit patiente, douce et consciente de ses décisions, ils ont abordé ces comportements, y compris ceux qu’ils considéraient comme faisant simplement partie de ma disposition naturelle, et ils ont fait la même chose avec mes sœurs, nous élevant toutes à des niveaux supérieurs de pensée et de maturité. 

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Pourtant, il en était tout autre quand il s’agissait d’aborder des comportements identiques chez mes frères. Ces derniers étaient systématiquement minimisés. Mes frères étaient autorisés à « être des garçons », peu importe si cela signifiait que d’autres personnes étaient affectées négativement par leurs comportements. Peu importe si cela signifiait que d’autres personnes devaient nettoyer après eux. Ils étaient des garçons jusqu’à ce qu’ils ne soient plus techniquement des garçons, ils avaient le droit d’être négligents comme les enfants qu’ils étaient. 

Mes parents n’étaient pas démissionnaires dans l’éducation de mes frères, mais de nombreux éléments dans mon éducation, absents de la leur, étaient cultivés. J’ai été mise au courant des paramètres de mon existence et on m’a ensuite clairement fait comprendre que la manière dont je devais mener ma vie dépendait de ma capacité à exister dans ces paramètres. Et mes frères, bien qu’ayant accès aux miens, n’en avaient pas. Ils n’ont pas appris l’humilité en regardant leurs sœurs se faire enseigner l’importance de porter des jupes longues et de se couvrir jusqu’au bout des doigts, ils ont seulement appris que ce que les femmes portaient déterminait leur décence. Ils n’ont pas non plus appris à respecter l’autonomie sexuelle des jeunes femmes en entendant dire à leurs sœurs combien ’il était important  de ne pas être « facile et complaisante », ils ont appris que les filles « faciles et complaisantes » ne méritaient pas le moindre respect de leur part. Ils ont grandi avec nous, ils ont été nourris, logés, blanchis, mais ils n’ont pas été élevés, nous l’avons été. 

C’est pourquoi tant de femmes finissent par élever leurs maris parce que confrontées à un espace de développement que ces derniers occupent depuis leurs 14 ans, alors qu’ils en ont 40. Comment pouvons-nous expliquer que tant d’hommes semblent coincés dans un état de développement propre à l’enfance, impliquant le fait d’avoir du mal à contrôler ses pulsions, à prendre des décisions conscientes ou encore le fait de devoir assumer les responsabilités de l’âge adulte uniquement lorsqu’ils sont au pied du mur  ? Sommes-nous vraiment en train d’élever nos fils ou nous contentons-nous de les voir grandir ? 

Selon Lise Eliot, Ph.D., professeur de neurosciences à la Rosalind Franklin University basée à Chicago, et auteure de Pink Brain, Blue Brain, “les neuroscientifiques n’ont identifié aucune différence structurelle ou d’activité neuronale, si ce n’est que les garçons ont un cerveau plus grand proportionnel à leur taille en moyenne plus grande.” Cela signifie que la plupart des différences de genre que nous observons entre les garçons et les filles n’existent que parce que nous les avons créées.

Des études indiquent que les parents passent moins de temps à lire et à raconter des histoires à leurs fils et passent plus de temps à discuter ouvertement des sentiments, des émotions ou toutes choses qui développent l’empathie avec leurs filles. De fait, nous ne pouvons pas prétendre que les garçons naissent sans capacité de compassion. Ces mêmes études démontrent que les parents parlent et interagissent davantage avec leurs filles en bas âge, un comportement qui renforce l’engagement social. Nous ne pouvons donc pas prétendre que les garçons sont naturellement moins sociables et communicatifs.

Nous n’éduquons pas les garçons à développer leurs sens de l’engagement ou de l’intégrité, puis nous faisons volte-face pour déplorer leurs infidélités et trahisons, tandis qu’ils objectent que la monogamie est contre nature. Nous n’éduquons pas les garçons de sorte qu’ils soient ouverts et honnêtes à propos de leurs sentiments, puis nous nous retournons pour dénoncer le fait qu’il est difficile pour les hommes de s’exprimer. Si nous aimons vraiment nos filles et voulons les protéger, nous ne devons pas laisser nos garçons avancer à tâtons vers l’âge adulte et dans le même temps, prier pour que nos filles ne soient pas victimes de ce processus.

Nous devons élever des jeunes hommes bienveillants, compatissants et engagés, le genre d’hommes dont nos communautés ont besoin. Et puis sachez que les garçons n’apprennent pas à être des hommes bien éduqués après 35 ans, après avoir été des malappris toutes leurs vies. Tout se joue dès le plus jeune âge. Ils doivent apprendre cela à la maison, sur une aire de jeu, en classe, sur un terrain de football : c’est dans ces cadres spatio-temporels que leur personnalité se construit.

Source : https://madamenoire.com/1127221/if-you-want-to-protect-your-daughters-raise-better-sons/?fbclid=IwAR0EcB6m30C-bl0xDDxZGrLhicdYyJko7ermuvD3pPMioSp4hIZEZK-irs4

Traduction : Syonou Mowane