Nelson Ewande : “Ce que je voulais, c’est être sur scène”
Depuis plus de 25 ans, Nelson Ewande domine la scène hip-hop mondiale. Il est le danseur de popping le plus primé de sa discipline. Quatre fois vainqueur du Juste Debout, chorégraphe pour M. Pokora ou Dr. Dre, il impose un style entre précision et énergie. Derrière les gestes : une discipline mentale et une vision claire de ce que danser veut dire.
C’est dans la cité Henri-Barbusse, à Ivry-sur-Seine que je retrouve Nelson Ewande, plus connu sous le nom de Nelson Officiel sur les réseaux sociaux. Ce lieu n’est pas anodin puisque les murs des bâtiments l’ont vu grandir et avec lui, l’idée que la danse pouvait être bien plus qu’un passe-temps. Dans les années 90, c’est un quartier vivant où la culture circule à ciel ouvert. On y rappe, on y graffe, on y danse. Des figures comme la Mafia K’1 Fry passent en bas des tours. Pour Nelson, c’est un environnement riche et intense presque formateur. Il observe, il absorbe et il imite. À la maison, avec un père sculpteur et une mère peintre, l’art est partout ! Une atmosphère où l’expression prime sur la performance, où l’on donne forme à ce qu’on ressent.
“Le hip-hop est venu à moi parce que c’était comme ça à l’époque” , “c’est le croisement hyper naturel entre la musique qu’écoutaient mes parents et celle du hip-hop que je dansais. J’ai même retrouvé des samples de musiques de jazz ou de funk qu’écoutait mon père dans des musiques hip-hop sur lesquelles je danse”

La danse arrive très tôt. Lors des fêtes de famille, Nelson imite Michael Jackson, ce qui lui confère le rôle de “mascotte”, explique-t-il. “C’est vrai qu’en tant qu’enfant, ça m’a permis d’ avoir confiance en moi […] C’est à ce moment que les gens reconnaissent ce talent, donc je savais que dans ça (la danse), je pouvais être bon”. Mais à cette époque, Nelson ne pense pas encore à faire de la danse une carrière. Il danse, simplement parce que ça lui ressemble.
Le hip-hop devient un repère, un terrain de jeu et bientôt, une nécessité. À l’âge où les autres s’interrogent sur leur orientation, lui n’a aucun doute : « Moi je savais pas ce que je voulais faire à part danser. C’était évident. » À 16 ans, alors qu’il n’a pas encore l’âge requis, Nelson est repéré par Miguel Nosibor, figure majeure du hip-hop français, qui le prend sous son aile. C’est lui qui l’oriente vers l’ADDM 84, à Nîmes, une formation tournée vers la transmission et l’enseignement de la danse. Une rencontre déterminante. Nosibor devient un guide, un appui.
“Une évidence” : la consécration d’une carrière
Avec le temps et l’expérience, Nelson s’est imposé sur la scène hip-hop à force de constance et de précision. Sa gestuelle si particulière, à la fois ancrée et aérienne, séduit les jurys autant que les publics. Il enchaîne les compétitions et devient l’un des visages majeurs du poppin français. Il rafle des titres au Juste Debout, au Fusion Concept, au SDK Europe. Nelson fait partie de ces danseurs qui marquent leur époque, non pas seulement par leurs victoires, mais également par ce qu’ils imposent de style, de vision, d’exigence.
À mesure que son nom circule, son rôle évolue. Nelson devient chorégraphe, transmetteur, bâtisseur de projets. Il crée des pièces, il accompagne des danseurs, imagine des formes où la danse hip-hop prend tout l’espace. Sa reconnaissance devient institutionnelle, mais sa danse reste viscérale. Et c’est dans ce mouvement, à la fois ascensionnel et profondément fidèle à lui-même, qu’arrive la proposition de Casse-Noisette. Quand Nelson entre dans le grand ballet Casse-Noisette, il ne perçoit pas cette opportunité comme quelque chose d’“historique”. Et pourtant, sur scène, il devient le premier danseur noir à incarner ce rôle dans la version contemporaine. Le symbole est puissant mais lui ne s’en rend pas compte tout de suite. “C’est les autres qui me le font remarquer. Moi, je ne m’en rendais pas compte.”
Ce spectacle devient une expérience fondatrice. Non pas parce qu’il y décroche une reconnaissance supplémentaire, mais parce qu’on lui laisse y être pleinement lui-même. Et si Nelson est perçu comme un pionnier, il ne s’en revendique pas. « Je revendique le fait d’être un homme noir, mais dans la danse, je trouve pas qu’on ait quelque chose à défendre. Chez nous, la musique et la danse, c’est naturel. » Il le dit sans provocation, presque avec amusement. Comme si cette histoire de “premier noir” l’amusait autant qu’elle lui échappait. « Ce n’est pas un titre pour moi. »
Cette façon de danser sans justification, Nelson la retrouve dans ses voyages, ceux qu’on ne planifie pas. Ceux où la danse ne s’enseigne pas, mais se transmet. Parce que c’est là qu’on retrouve la vraie danse. ” Il évoque le Brésil, le Maroc, la Côte d’Ivoire, des lieux où le geste ne cherche pas la perfection mais la sensation, où la musique est dans les rues, les corps, les voix.
“Tu sens que c’est dans leur sang. C’est un héritage. C’est le bled. T’es pas chez toi, mais t’as l’impression de rentrer à la maison. La-bas”, dit-il. “On danse parce qu’on vit. Parce qu’il y a quelque chose de nécessaire, d’organique. Rien à prouver, rien à gagner. Pas de projecteurs, pas de format. Et dans cette liberté, quelque chose l’émeut profondément”. « Tu te rends compte que ce sont des pays dans lesquels les gens vivent mieux, ils sont plus contents. ils dansent mieux. Parce qu’ils dansent vrai. ».
Nelson fait la distinction, sans jamais juger, entre les scènes saturées de compétition où la technique devient parfois automatique et ces endroits plus bruts, plus chauds, où l’émotion passe avant la démonstration. Ce sont ces lieux qui lui rappellent pourquoi il danse, qui lui rappellent que ce qu’il a appris enfant, dans les fêtes de famille ou au pied des tours, n’a jamais été très loin.
Conditionné pour gagner
Comme tout sportif de haut niveau, Nelson sait qu’avant de briller, il faut préparer le terrain mental. La scène est un ring, mais la vraie bataille se joue bien avant, dans la tête. “Moi je suis rentré dans le conditionnement. J’arrivais, j’étais prêt à gagner !”…Pas de gri-gri, pas de routine millimétrée, juste une présence à soi. Nelson n’est pas superstitieux, et ça le fait sourire : « Tu vois les mecs qui mettent qu’une chaussette… moi je suis pas avec eux », balance-t-il, taquin mais sans mépris. Lui, il préfère prier. « Je demande (à Dieu) que tout se passe bien, que je sois connecté à la musique. Le conditionnement, il est dans ma tête. Et le jour J, tu lâches les chevaux. »
S’il ne se revendique d’aucune religion, Nelson évoque volontiers des influences croisées, chrétiennes et musulmanes. Non pas comme un cadre, mais comme un socle, un rythme de vie auquel se rattacher.
Ainsi, pour Nelson, danser c’est aussi gérer l’invisible. Ce qu’on ne voit pas mais qui donne du sens. C’est aussi là que le battle le fait vibrer. Non pas pour la démonstration, mais pour ce qu’il active de plus instinctif : « J’ai toujours eu une grande bouche, toujours été très moqueur. », dit-il avec une franchise décomplexée. Le battle, c’est l’endroit où il peut tout être à la fois : stratège, showman, technicien. Il y joue un personnage, mais sans tricher. « Tu dois prendre la scène, t’adapter, faire croire que t’es le meilleur. »
Longtemps, Nelson s’est vu comme un boxeur. Pas pour le clash, mais pour la discipline. L’obsession du bon tempo, du coup juste. Chaque battle devient alors un duel musical. Et là, c’est sa personnalité qui prend le relais : « Dans les battles, j’ai trouvé un truc qui me ressemble. » Un mélange de finesse et de contrôle, de panache et de précision. Rien n’est hasardeux mais tout doit sembler libre. C’est là sa maîtrise.
Cette exigence, Nelson souhaite désormais la transmettre, que ce soit en atelier, en studio, ou sur scène. Enseigner n’est pas une suite logique, c’est une responsabilité. « C’est pas parce que t’es un bon danseur que t’es un bon prof. » Il le répète souvent. Et pour cause : transmettre, c’est d’abord savoir voir chez l’autre ce qu’il ignore encore. C’est ajuster, guider sans écraser. Là encore, sa danse reste à hauteur d’homme : pensée, sensible, mais jamais élitiste.
Carla Ntessi pour BY US MEDIA
