Qui est Dieu selon nos ancêtres négro-africains ?
Invité en tant qu’éditorialiste, Papa Moussa Camara, militant panafricain et étudiant en Multimédia-Internet-Communication (MIC) à l’Université virtuelle du Sénégal, partage ici sa vision de la spiritualité africaine traditionnelle. Il est à souligner que cet article porte principalement sur l’Afrique originelle, sous-entendu avant l’implantation des religions abrahamiques…
La conception de Dieu varie selon les peuples. Tous les peuples, à un moment de leur histoire, sont interpellés par des questions d’ordre existentiel et métaphysique : Qui sommes-nous ? Sommes-nous créés ? Si oui, par qui et pourquoi ? Que devient-on après la mort ? Afin de répondre à ces diverses questions, les peuples ont élaboré un système de croyance spirituelle reposant sur des égrégores, des allégories, des récits mythiques et des légendes, pour ainsi donner un sens à leur existence.
Dans la spiritualité africaine, Dieu est perçu comme l’énergie primordiale responsable de la création de la nature et de ses éléments. Cette création se fait à partir des quatre éléments essentiels à la vie tels que l’air, l’eau, la terre et le feu/lumière.
La cosmogonie africaine considère l’eau comme source de la vie et Dieu en miniature
Dans le cosmos humain et animal, le sperme contient des germes vivants, l’enfant et le petit des mammifères baignent dans du liquide amniotique avant de voir le jour. L’œuf contient de l’eau et la vie des plantes est assurée par l’eau. Par ailleurs, l’eau met en évidence la neutralité de Dieu. Elle est incolore, inodore, mais également capable de prendre toutes les formes possibles, de par sa fluidité.
Par rapport au processus de la création du monde, la cosmogonie Kamit (négro-africaine d’Égypte ancienne) considère que Dieu est initialement Atoum (énergie primordiale) consciente dans le Noun (eau primordiale), de laquelle il serait sorti par explosion.
C’est à travers cette explosion appelée Big Bang que Dieu a créé la nature et ses composantes, notamment à partir de l’air, l’eau, la terre, le feu/lumière, quatre éléments essentiels.

Chaque entité de la nature émet des vibrations du fait de l’énergie, de la parcelle du Dieu dont elle a hérité ; ce qui lui vaut donc une certaine sacralité et un certain respect aux yeux de nos ancêtres africains qui voient en cela, à la fois l’unicité et la pluralité du Créateur suprême.
Au delà du caractère sacré attribué à la nature, nos ancêtres pensent avoir le devoir de vénérer cette dernière qui permet de vivre, de s’alimenter, de se soigner, de s’habiller, de se loger, de se protéger…
En Afrique de l’Ouest, le nom donné au Dieu suprême varie d’une ethnie à une autre. Les Sérères l’appellent “Rog”, les Diolas l’appellent “Emitay”, les Dogons l’appellent “Amma”, les Yoruba l’appellent “Olorun”, etc.
En définitive, Dieu est perçu dans la spiritualité africaine, comme l’énergie primordiale pure responsable de la création du monde : il anime la vie des êtres par le biais de l’énergie que ceux-ci héritent de lui. À noter que d’après nos ancêtres, Dieu crée de façon gémellaire, autrement dit, l’homme et la femme originels auraient été créés simultanément, dans la complémentarité. L’homme est la dernière et la plus parfaite des créatures, car étant le seul être détenteur et jouisseur de facultés intellectuelles, langagières et possédant en outre, le libre arbitre.
Qu’est-ce que la Prière, le Paradis et l’Enfer selon nos ancêtres négro-africains ?
Le rapport que l’Afrique traditionnelle entretient avec Dieu est spécifique. C’est un système de croyances qui soutient que Dieu est très pur, pur au point de ne pouvoir intervenir dans les affaires des hommes, car en intercédant, par exemple, en faveur d’un individu aux dépens d’un autre, Dieu pourrait devenir injuste etpartial devant ses créatures, qu’il doit à priori traiter avec équité.
La spiritualité africaine traditionnelle conclut donc par-là que Dieu s’abstient de toute immixtion dans les problèmes du monde, avant d’ajouter que Dieu est parfait, dépourvu de tout attribut humain.
En quoi consiste la prière dans la spiritualité africaine ?
En Afrique ancienne, la prière est simplement un message adressé aux ancêtres morts, dans la mesure où lorsqu’un ancêtre meurt, il est appelé à être divinisé.
Comment l’ancêtre mort est-il divinisé ?

Selon nos ancêtres égyptiens, il y a trois parties essentielles chez l’être humain : le Khat (la matière/ le corps) qui est relié à l’ombre qui révèle l’existence physique du corps en tant que tel. Nous avons ensuite le Bâ (l’âme) logé dans le cœur et relié à l’aura (à travers les couleurs de l’aura, les grands initiés peuvent détecter l’état de spiritualité et de santé des personnes). Enfin le Kâ, énergie vitale !
La mort ne signifie pas la disparition totale, mais le passage du monde visible vers l’invisible
À sa mort, le défunt se déleste de son corps, pour devenir énergie pure. Il pourra alors accéder à l’énergie primordiale qu’est Dieu. C’est pourquoi les prières et les invocations sont adressées aux morts divinisés. Il est d’autre part important de saisir qu’on ne prie pas pour adorer Dieu, ni pour entrer au paradis, mais pour solliciter la réalisation des doléances par le biais de ces ancêtres.

La révélation, voire la prophétie est également ignorée dans le système de croyance spirituelle négro-africaine, d’autant plus qu’on soutient que tout le monde est connecté à Dieu dont l’énergie anime toute vie.
En Afrique ancienne, l’initié-e, (celle/celui qui a acquis les connaissances ésotériques de base et qui est capable de saisir et de manipuler les paramètres de la spiritualité) doit émettre la pensée juste, la parole juste et l’acte juste pour se soumettre non seulement aux règles sacrées et sociétales, mais également pour veiller sur le patrimoine de la lignée familiale. On doit veiller à avoir une bonne conduite dans la vie, car les ancêtres observent nos actes à partir du monde invisible
Nos ancêtres considèrent, en outre, que le cœur, l’âme constituent le centre de la pensée/conscience, de la parole, de l’émotion et que le cerveau ne fait qu’exécuter les ordres du cœur, contrairement à ce que théorisent les autres peuples.

Pendant le jugement qui se tient dans le tribunal des morts, on compare le poids du cœur (siège de l’âme) du mort à celui d’une plume d’autruche, appelée plume de Ma’ât, à l’aide d’une balance constituée de deux (2) plateaux, en rapport aux “42 commandemants de Ma’ât”*, un ensemble de 42 lois sacrées régissant la vie des anciens Égyptiens. La Ma’ât est représentée par une Déesse qui incarne l’équilibre, l’équité, la vérité, la justice, la paix dans le monde, dans la mythologie égyptienne. Les “42 commandements de Ma’ât” peuvent être consultés dans le chapitre 125 du livre des morts des anciens Égyptiens.
Au jour du jugement, le défunt est introduit dans la salle dit des deux Ma’ât par Horo (Horus). Son cœur est déposé dans une balance de deux plateaux par Inpou (Anubis). Djehouty (Thot) transcrit le jugement du défunt.
Ousiré (Osiris) préside le tribunal du jugement dans la salle. Il est accompagné de sa sœur-femme Aïssata (Isis) et de leur sœur Nabintou (Nephtys). Ousiré, en tant que premier Être à avoir connu le cycle de l’existence (vie-mort-justification-résurrection) est apte à déterminer qui a obéit ou non aux 42 commandements de Ma’ât.
Ainsi, si le cœur s’avère moins lourd que la plume de Ma’ât et que son énergie est pure, le défunt est parfaitement en phase avec les 42 commandements de Ma’ât. Ousiré approuve et le défunt jugé sage, fusionne alors éternellement avec Dieu, énergie primordiale. En tant qu’énergie pure, le mort est d’emblée à l’abri des besoins relatifs à la vie terrestre, à savoir se désaltérer, manger, ainsi que tout autre besoin physiologique. Il devient ce que les anciens Égyptiens appellent “Akh Netjery” (esprit divin/ancêtre méritant). Ce sont ces états de bienfaisance et de fusion éternelle avec Dieu que nos ancêtres appellent “Paradis”.

Comme il est extrêmement difficile pour un humain d’avoir une énergie pure capable de fusionner avec Dieu, les âmes font plusieurs aller-retour entre le monde visible et le monde invisible, en s’incarnant (vivant) et en se désincarnant (mourant), dans l’optique de corriger leurs erreurs et de purifier leurs énergies.
Cependant, si le cœur se révèle moins léger que la plume de Ma’ât, le défunt subira ce que nos ancêtres qualifient de “seconde mort”, c’est-à-dire que son cœur (siège de l’âme) sera détruit par Âmmout, la déesse au corps d’hippopotame, à la tête de crocodile et aux pattes avant de lion, chargée de dévorer les cœurs impies, et donc l’âme des humains insoumis. De fait, le mort perdra éternellement ses capacités de réincarnation, d’ancêtre divinisé et ne pourra entrer en contact avec les vivants. Il devient ce que les anciens Égyptiens appellent “Mout” (ancêtre indigne) : c’est le séjour éternel en Enfer.

De nos jours, la spiritualité africaine traditionnelle demeure l’enfant pauvre de nos sociétés. Souvent jugée à tort, celle-ci est fortement méconnue et négligée par nombre d’Africains. Or, connaître ses coutumes et ses traditions est un devoir que nul n’est censé ignorer.
Connais-toi toi-même !
*Les “42 commandements de Ma’ât” sont récités le matin et le soir par nos ancêtres négro-africains qui sont tenus d’évaluer leurs actions quotidiennes et de veiller à se soumettre aux lois divines :
1. Je n’ai pas commis l’iniquité (le péché) contre les hommes
2. Je n’ai pas maltraité les gens
3. Je n’ai pas commis de péchés dans la place de la Vérité (le temple)
4. Je n’ai pas cherché (à connaître) ce qui n’est pas à connaitre = ne me suis pas mêlé des affaires d’autrui
5. Je n’ai pas fait de mal
6. Je n’ai pas commencé ma journée (de travail en recevant une commission de la part des gens qui devaient travailler sous mon œil = je n’ai pas été corrompu ; et mon nom n’est pas parvenu aux fonctions d’un chef de travailleurs)
7. Je n’ai pas privé un artisan de ses biens
8. Je n’ai pas fait ce qui est abominable aux dieux
9. Je n’ai pas fait pleurer
10. Je n’ai pas tué
11. Je n’ai pas ordonné de tuer
12. Je n’ai fait de peine à personne
13. Je n’ai pas amoindri les offrandes alimentaires dans les temples
14. Je n’ai pas blasphémé les dieux primordiaux
15. Je n’ai pas volé les galettes des bienheureux
16. Je n’ai pas été pédéraste (homosexualité)
17. Je n’ai pas forniqué (sexe avec une personne mariée)
18. Je n’ai pas retranché au boisseau (volé du blé)
19. Je n’ai pas amoindri l’aroure (Je n’ai pas falsifié de comptes)
20. Je n’ai pas triché sur les terrains
21. Je n’ai pas ajouté au poids de la balance
22. Je n’ai pas faussé le peson de la balance
23. Je n’ai pas ôté le lait de la bouche des petits enfants
24. Je n’ai pas privé le petit bétail de ses herbages
25. Je n’ai pas piégé d’oiseaux dans des roselières des dieux
26. Je n’ai pas péché de poissons de leurs lagunes
27. Je n’ai pas retenu l’eau dans sa saison
28. Je n’ai pas opposé une digue à une eau courante
29. Je n’ai pas éteint un feu dans son ardeur
30. Je n’ai pas omis les jours des offrandes de viandes
31. Je n’ai pas détourné le bétail du repas (offrande) du dieu
32. Je ne me suis pas opposé à un dieu dans ses sorties en procession
33. Je n’ai pas blasphémé Dieu
34. Je n’ai pas agi avec violence
35. Je n’ai pas été de mauvaise humeur
36. Je n’ai pas été sourd aux paroles de vérité
37. Je n’ai pas été bavard
38. Je n’ai pas dit de mensonge
39. Je n’ai pas inspiré de craintes
40. Je n’ai pas pollué les eaux
41. Je n’ai pas insulté le roi
42. Je n’ai pas été hautain
