AU REVOIR MARSEILLE : Quand la création devient un acte de résistance
À la croisée de l’art et de l’engagement, le collectif DIMEN7ION lance un premier magazine « AU REVOIR MARSEILLE » dont l’ensemble des bénéfices seront reversés à Résilience Gaza. Portrait de trois créatifs marseillais qui n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Ils s’apprêtent à sortir « AU REVOIR MARSEILLE », un magazine, le premier projet commun de leur collectif né en 2024. À respectivement 22, 23 et 27 ans, Lucian Benharira, Rayane Mahieddine et Izudin Yusuf dégagent une aura et un calme impressionnant, qui ne dit rien de l’intensité de l’année qu’ils viennent de passer à donner vie à leur vision. Être sur le point de concrétiser une idée sur laquelle on a planché durant des mois s’apparente aux émotions que ressent un coureur approchant la ligne d’arrivée. C’est le moment le plus intense, celui où la fatigue et l’excitation se confondent. « Fatigués et excités » sont justement les adjectifs que le trio créatif utilise lorsque je leur demande comment ils vont en ce moment. Ma question n’est pas anodine. Au-delà de la lumière qu’ils créent et prennent, on oublie souvent de demander aux créatifs comment ils se sentent vraiment. « On est encore jeunes, en plein apprentissage. Jongler entre nos vies perso et ça, c’est parfois chaud, mais on hâte que les gens découvrent le magazine et voient notre sincérité » poursuivent-ils.
Ils m’ont donné rendez-vous un dimanche soir, sur le parvis de la Major, spot parfait pour discuter et admirer le coucher de soleil à Marseille. Quelques semaines auparavant, je les avais croisés, là-bas, par hasard, ensemble pour la première fois. La conversation avait naturellement tourné autour du magazine. Ce soir-là, on s’était finalement éloignés, pour se poser un peu plus loin, sur les marches du MUCEM, premier musée national français consacré aux cultures de l’Europe et de la Méditerranée. Rayane, Izudin et Lucian sont des enfants du Sud. Les deux premiers ont grandi à Marseille : Rayane à la Belle de Mai puis dans les quartiers du 10e arrondissement de la ville, Izudin, dans les quartiers sud du 12e, où il est arrivé à 4 ans des Comores où il est né, avant de déménager dans le 9e à ses 18 ans. « Moi je suis l’intru », affirme Lucian. Né à Montpellier, il a grandi dans la campagne avignonnaise avant de s’installer à Marseille pour ses études, à 17 ans.

Tous les trois me décrivent une enfance traversée par l’ennui des après-midi sans fin. « Au quartier, c’était assez calme, je m’ennuyais. J’allais à l’école, je rentrais chez moi et c’est tout. Pour voir les Marseillais, je devais faire 35-45 minutes de transport. », rapporte Rayane. Même son de cloche chez Izudin, qui dit s’être longtemps senti très isolé, notamment du fait des problèmes de transport de la ville et de l’enclavement de son quartier. Quand on s’ennuie, c’est bien connu, on cherche des moyens de ne plus s’ennuyer. Pour se faire, les parents de Lucian l’introduisent au cinéma, à la musique, aux musées. Le jeune homme est aujourd’hui conscient que ce qu’il considérait à l’époque comme une corvée, est devenu sa porte d’ouverture sur le monde, son point commun avec Izudin, Rayane et d’autres créatifs, avec qui il partage des références culturelles communes, cinéma et musique en tête.

Si l’ennui les a conduit à la culture, c’est la création qui les a amenés à découvrir leur ville d’un nouvel œil. Au fil des projets créatifs, ils explorent leur nouvelle passion respective, la photographie pour Izudin, la direction artistique pour Lucian, la direction graphique pour Rayane. Ils parcourent la ville, font de nouvelles rencontres qui finissent par transformer leur regard sur la ville et forger leur attachement. « J’ai rencontré Rayane l’année dernière, au cours du premier projet créatif auquel j’ai participé. On m’avait prévenu que c’était un crack ! On a tout de suite matché, en termes de principes, valeurs, références, sensibilités mais aussi en termes de frustration », raconte Lucian. À cette époque, le jeune crack qui raconte avoir souffert d’être cantonné à des tâches d’exécutant derrière son ordinateur, avait envie d’exprimer entièrement sa sensibilité et sa vision créative. Il a trouvé en Lucian un allié de taille. « Je cherchais à monter une équipe sur la base de principes et de valeurs communes avant tout, qui puisse rendre hommage à Marseille de manière profonde, au-delà de la simple esthétique. Après Rayane, Izudin est venu comme une évidence », poursuit Lucian.

Venu de la photographie documentaire, l’ancien étudiant en comptabilité et sociologie, autodidacte, a su se tailler une place singulière dans le paysage créatif en développant un regard unique et sensible sur les siens. Séduit par la démarche et impressionné par la proposition créative du duo, le photographe accepte et rejoint le projet. « Ils sont arrivés à un moment où j’étais à Paris, très nostalgique de Marseille, j’avais justement envie de créer un magazine qui revisitait l’histoire de Marseille avec un angle afro-diasporique ».
Au-delà du projet, naît une amitié forte. Jeunes et ambitieux, ces trois enfants du Sud sont convaincus que leur travail doit s’incarner au-delà de l’image, pour raconter quelque chose de leur ville et s’ancrer dans une réalité sociale qui leur est propre. « Le projet rassemble autour d’un magazine et d’une façon de voir la vie », souligne Izudin.

Si Marseille est un point d’ancrage, leur message se veut universel. Pour le trio, « AU REVOIR MARSEILLE » évoque l’attachement à un lieu que l’on quitte pour s’épanouir et réussir mais qui ne nous quitte jamais tant il est constitutif de ce qu’on est. Dans le cas de la France, du fait d’une histoire et d’une politique de centralisation tournée vers Paris, beaucoup sont contraints de s’installer dans la capitale pour réussir. « On a envie de créer un espace et donc une dimension au sein desquels les gens, notamment les créatifs qui sont très isolés à Marseille, qui ont envie de raconter des histoires puissent le faire d’ici et se retrouver », confirme Lucian.
Le résultat pour ce premier projet est un magazine à l’esthétique léchée, qui offre une vision sincère et authentique de la ville. À travers une série de sujets, la publication met en lumière des histoires et figures de la ville telles que celle du quartier de l’Estaque, le restaurant CORNBREAD, le magasin VINCULT ou encore l’artiste Sara Sadik. Il permet à la cité phocéenne de se raconter de l’intérieur au-delà des fantasmes : « Aujourd’hui, il y a des gens qui ne respectent pas les habitants par rapport aux réels traumatismes qu’ils ont vécu. Ils s’approprient des codes qui sont vendeurs et capitalisent dessus, mais l’image véhiculée c’est directement les habitants qui en pâtissent », déplore Izudin. Riche d’une centaine de pages, « AU REVOIR MARSEILLE » propose une réflexion plus large sur les notions de centre et de mémoire. Pour tous ceux et celles qui se racontent ou se voient raconté.e.s dans ces pages, Marseille est un centre, une maison, où ils et elles ont pu trouver leur place et s’épanouir pleinement.

À l’image des dockers du port de Marseille, qui, au début du mois de juin, ont manifesté leur refus de charger des pièces de fusil destinées à Israël, le collectif s’engage pour la Palestine. Au sein du magazine, on peut lire la lettre de Mohammed Khaled Qudaih, gazoui de 19 ans qui, après de brillants résultats au bac, rêvait de devenir ingénieur, avant que les bombardements israéliens effectifs depuis octobre 2023 ne changent tout. « Avez-vous déjà imaginé perdre votre vie, vivre un cauchemar, voir vos amis et vos proches mourir, et regarder vos rêves s’effondrer sous vos yeux ? [ …] Tout ce que je demande, c’est une chance d’étudier dans un endroit sûr et de réaliser mon rêve. Mon avenir est en danger. Mon rêve est en train de disparaître ». Publier ce témoignage apparaît comme une réponse du collectif à l’indifférence générale des responsables politiques internationaux. Grâce à Urgence Palestine Marseille, ils ont découvert Résilience Gaza, une initiative lancée par la jeunesse palestinienne, qui parcourt les camps de réfugiés afin d’évaluer leurs besoins réels. 100% des bénéfices du magazine leur seront reversés.
Ce qui est certain, c’est que pour Lucian, Rayane et Izudin, ce projet marque un tournant dans leur trajectoire. « Il part d’une souffrance et d’un manque. Aujourd’hui, il nous a fait grandir et on est très reconnaissants envers toutes les personnes qui nous ont aidés. C’était inespéré » concluent-ils. Toute l’équipe nous donne rendez-vous le 12 juillet au Solarium, chez eux à Marseille, pour célébrer le lancement de ce qu’ils considèrent être la première pierre d’un projet parti pour s’ancrer durablement dans la ville.
Christelle Bakima Poundza pour BY US MEDIA
Pour se procurer le magazine, c’est ici : https://dimen7ion.fr/?fbclid=PAZXh0bgNhZW0CMTEAAaccwlyOcHSxGLxpzUl5hWgbqQNAD79oW5wRcIyHOUYooTT8HqjidvrPUe-FtA_aem_p17P6MUgbbthkIweMFaivA
